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  1. Le marketing face à l’émergence inévitable de fossés biologiques

L'environnement business

Les idées transhumanistes sont aujourd’hui véhiculées globalement par une poignée d’institutions et de personnages clés avec, depuis les années 2010, de plus en plus d’entreprises qui investissent.

 

Du côté des entreprises, le marché du business touchant au transhumanisme n’est pas facile à évaluer, car la définition même du concept inclut à la fois les sciences de la vie, mais aussi l’intelligence artificielle et les technologies, et le secteur lui-même reste relativement jeune dans l’histoire du business. Toujours est-il qu’en 2015, la presse commence déjà à parler de nouvelles « lubies »  de certains géants économiques qui se mettent à investir massivement dans le domaine.

Ainsi, en 2014, Google Ventures (fonds de placement fondé par Google) a investi 36% de ses actifs dans les sociétés du domaine des sciences de la vie (et seulement 6% en 2013).  Ce montant reste globalement stable avec 31% d’investissements en 2015, mais cette fois s’ajoute aussi un secteur nouveau, celui de l’intelligence artificielle !

A ce jour, les entreprises du domaine des NBIC représentent 32% du portfolio de Google Ventures (2ème place).

Investissements de Google Ventures en 2014 et 2015 (site web de GV)

 

IBM de son côté a investi 1,4 milliards de dollars en 2014 dans son cerveau artificiel Watson et 4 milliards dans l’acquisition de nouvelles entreprises pour contribuer au projet en 2016.

Le grand patron de SpaceX et Tesla Elon Musk quant à lui véhicule également cette idéologie et investit massivement dans des projets entrepreneuriaux visant à augmenter les capacités humaines avec sa start-up Neuralink.

 

Avec de telles tendances, on peut légitimement s’attendre à ce que la mise en œuvre concrète des idées transhumanistes qui paraissaient trop futuriste il y a quelques années, devienne réalité.

 

Quelles pourraient en être les implications et à quelles stratégies marketing peut-on s’attendre de la part des entreprises ?

 

Jean-Michel Besnier, philosophe français étudiant la question du transhumanisme, a déclaré dans son interview du 4 octobre 2017 pour le journal l’Humanité : « […]si nous restons biologiques, nous ne participerons plus à l’évolution. Les transhumanistes pensent que l’humanité est finie. » 

 

En cela, nous pouvons considérer que l’application concrète des idées transhumanistes semble prédire l’émergence d’importants fossés dans la société d’un ordre différent de ceux que nous connaissons aujourd’hui.

 

 

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GV investments.PNG

NB : Nous considérons ici le marketing sous un angle passif, à savoir qu’il exploite les besoins des consommateurs mais ne peut pas en créer. Ce positionnement repose sur la définition même du marketing : « Le marketing est le mécanisme social par lequel individus et groupes satisfont leurs besoins et désirs au moyen de la création et de l'échange des produits et autres entités de valeurs pour autrui. » (Philip Kotler, 2006). La position lui conférant un rôle actif va donc à l’encontre de l’objet même d’une démarche marketing, qui est de déterminer ces besoins et les satisfaire dans l’objectif de faire du profit. Par « besoins », nous entendons les valeurs énumérées par la Pyramide de Maslow et qui sont inhérents à la nature humaine (besoins physiologies, de sécurité, d’appartenance etc). En revanche le marketing est tout à fait susceptible de créer le désir, matérialisé par un objet ou service, qui permettrait de satisfaire un besoin.

Le fossé entre les humains et l’intelligence artificielle

Les transhumanistes ont tendance à tenir un discours que l’on peut qualifier d’alarmiste dans la mesure où il laisse croire que si l’être humain dans son état actuel n’embrasse pas les évolutions technologiques pour viser une version augmentée de soi-même), il est voué à disparaître dans sa configuration et organisation sociétale actuelles. On peut en déduire que l’Homme tel qu’on le connaît actuellement court le danger de perdre sa position de domination sur le monde.

Nous allons voir comment Google exploite cette idée du point de vue business, suivi par Neuralink, en alimentant des projets d’envergure colossale.

  • La singularité technologique exploitée par Google

Les fondateurs de Google Larry Page et Serguei Brin se revendiquent transhumanistes ; à ce titre l’entreprise est un sponsor majeur du mouvement.

Pour mieux comprendre le rôle central du groupe dans l’avancée des idées transhumanistes, il faut d’abord se familiariser avec le phénomène de singularité technologique.

Selon les partisans de cette hypothèse, pas plus tard qu’en 2030, les humains auront atteint un tel niveau d’avancée technologique, qu’ils pourront enfin créer une intelligence artificielle supérieure à celle de l’être humain sur tous les aspects. Cet événement marquera un tournant dans notre évolution puisqu’à partir de ce moment le progrès sera entre les mains de l’intelligence artificielle uniquement, qui s’auto-apprendra, s’auto-améliorera à une vitesse exponentielle, laissant ainsi les humains dans une obsolescence de fait sans précédents et creusant un fossé entre eux et l’intelligence artificielle. Cet état est celui de la singularité technologique.

Cet événement étant considéré inéluctable, Google met en œuvre des moyens pour permettre de s’y préparer.

 

Pour cela, l’entreprise a fait appel à Raymond Kurzweil, ingénieur et chercheur américain, figure emblématique du mouvement transhumaniste et fervent défenseur de l’hypothèse de la singularité technologique ; il est directeur général de l’ingénierie chez Google depuis 2012.

Raymond Kurzweil a été, en 2008, l’un des co-fondateurs de la Singularity University : une société qui est à la fois un centre de formation et un incubateur d’entreprises, dont Google est un des actionnaires et fondateurs (avec Microsoft via avec Nokia, Cisco, NASA entre autres).

L’objectif de l’institution est de préparer les dirigeants à affronter les défis de demain liés inévitablement aux innovations technologiques et transhumanistes.  

 

Cela paraît évidemment nécessaire puisque d’après l’ouvrage de Ray Kurzweil Humanité 2.0, sous-titré La Bible du changement, « au début des années 2030, il n’y aura plus de distinction claire entre l’humain et la machine, entre la réalité virtuelle et la réalité réelle ».

Fait intéressant, jusqu’en 2012, l’université était une organisation à but non-lucratif mais a changé son statut et est actuellement une entité économique lucrative. Le business semble tourner autour des programmes de formation de quelques jours à quelques semaines aux promesses alléchantes  et au prix de 3000€ pour un programme de 3 jours avec comme intervenants des acteurs mondialement connus comme KPMG, Deloitte, Unilever, Accenture.

 

Dans la poursuite de son expansion internationale, l’organisation a même installé sa 1ère antenne en France en 2017, à Bordeaux.

Sans toutefois tomber dans le marketing de la peur avec l’utilisation de termes directement négatifs visant à susciter m’émotion d’inquiétude chez les destinataires éventuels consommateurs, Google, à travers ses projets surfe plutôt sur la vague de la collapsologie, courant de pensée qui étudie le phénomène de l’effondrement de notre société dans sa configuration actuelle (industrielle et capitaliste), pour une multitude de raisons (dont l’émergence des AI).

Ainsi, il s’agit de susciter plutôt des questionnements quant à l’avenir, voire une légère inquiétude,  sans aller jusqu’à l’anxiété paralysante, tout en rassurant et proposant une solution déjà prête pour faire face aux défis de demain.

« L’idée, c’est d’avoir un impact positif sur le monde. Personnellement, c’est plutôt par prudence que je le fais, pour nous préparer. » 

Aidan O'Brian, ambassadeur de l'université en France, spécialiste du Big Data

Cela semble cohérent dans le sens où il est difficile de ne pas accorder un certain crédit aux arguments avancés : l’accélération du progrès technique est évidente et débouche déjà sur de nouveaux challenges.

Et n’ayant pas forcément de produit/preuve tangible à présenter au monde (bien que Google X travaille sur de nombreux projets pointus, l’intelligence artificielle supérieure dont parle Ray Kurzweil n’a pas encore été créée), l’idée est de convaincre le plus grand nombre de ses idées, en étant alarmiste juste ce qu’il faut, en faisant appel aux besoins de sécurité, d’appartenance voire d’auto-réalisation pour les leaders. On pourrait aller jusqu'à qualifier cette politique d’évangélisation.

Le rôle du marketing ici est de convaincre et convertir et il est intéressant de noter que les destinataires ne sont pas les simples consommateurs, mais une cible pour le moment qui semble être limitées aux grands décisionnaires : les dirigeants d’entreprises, pourquoi pas des hommes politiques (cela paraît plausible compte tenu des relations étroites de la gouvernance de Google avec les milieux étatiques) mais aussi les meilleurs scientifiques, dont la collaboration permettrait de résoudre d’autres défis (n’oublions pas que Ray Kurzweil lui-même est avant tout un chercheur).

  • Neuralink et le culte du dirigeant

Neuralink est une entreprise américaine spécialisée en neurotechnologies, fondée par Elon Musk en 2016. Dès sa création, l’ambition de Neuralink a été de développer des outils, des composants électroniques pouvant être intégrés directement dans le cerveau humain et qui permettraient d’en améliorer les capacités cognitives.

Le 28 août 2020, Elon Musk a présenté le produit révolutionnaire : un implant placé dans le cerveau d’un cochon, lié à un ordinateur :

« Le nouveau modèle, sans-fil grâce à la technologie Bluetooth, se recharge la nuit et mesure 23 mm de diamètre (comme une petite pièce de monnaie) sur 8 mm d'épaisseur. En théorie, la puce ronde sera implantée dans le cerveau sans qu'il y ait besoin de passer une nuit à l'hôpital, et sans laisser de trace, si ce n'est une petite cicatrice sous les cheveux. Elle servira d'abord à traiter les maladies neurologiques. Mais l'objectif à long terme est de rendre les implants si sûrs, fiables et simples qu'ils relèveraient de la chirurgie élective (non urgente). Des personnes pourraient alors débourser quelques milliers de dollars pour doter leur cerveau d'une puissance informatique. » a-t-il déclaré lors de la présentation.

L’outil peur soulever cependant des problèmes d’éthique : qui doit on prioriser ? Doit-on corriger un phénomène comme l’autisme, qui n’est pas considéré comme une maladie aujourd’hui, ou bien cela relèverait de l’eugénisme ?

Il est encore trop tôt pour le dire, et l’outil n’ayant pas encore obtenu d’approbation pour tests sur les humains, on suspecte Elon Musk de réaliser surtout une énorme opération marketing des ressources humaines, dans le but d’attirer le plus de nouvelles recrues au parcours brillant.

Pour cela il est évident que sa personnalité joue un rôle clé. Fondateur de SpaceX et de Tesla et transhumaniste engagé , Elon Musk est une personne très médiatisée, un véritable personnage « people » dans de nombreux pays.

Par exemple, le prénom donné à son dernier enfant et contenant "AI" a fait le tour des réseaux sociaux. (post Instagram par sa compagne Grimes expliquant les lettres du prénom)

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Le prototype présenté par Neurlaink se trouve à la frontière avec le deuxième fossé : le fossé biologique entre les humains.

L’émergence de fossés basés sur les écarts biologiques

Même si on peut être sceptique quant aux déclarations et promesses des transhumanistes en matière de la vitesse du progrès, il n’en demeure pas moins que les entreprises du domaine des NBIC ont le vent en poupe et permettent à la science d’évoluer à une vitesse jamais connue jusque-là.

Le business et les outils marketing sont alors susceptibles de créer et d’exploiter par eux-mêmes un fossé jamais observé jusqu’à nos jours : le fossé biologique entre les humains mêmes.

« Tout au long de l’histoire, les nantis ont toujours profité de multiples avantages sociaux et politiques, mais jamais un immense fossé biologique ne les a séparés des pauvres »  :  dans son ouvrage Homo Deus, l'historien Yuval Harari laisse entendre que le développement des biotechnologies engendrerait la création de véritables écarts d’ordre physiologie entre les humains qui pourront se permettre de les appliquer, et les autres.

Actuellement les investissements des entreprises se regroupent principalement autour des champs des cellules souches et la génétique.

  • Le commerce à venir de la peau reconstituée par L’Oréal ?

Pour commencer, il faut comprendre ce qu’est une cellule souche : 

Racheté par l’Oréal en 1997, le laboratoire lyonnais Episkin, a pour activité principale la recherche sur les cellules souches dans le but de reconstruire des cellules de peau humaine. L’Oréal en est le principal client (mais le laboratoire a également plus de 200 clients à l’étrangers) et utilise les échantillons comme alternative aux tests de leurs produits cosmétiques sur les animaux.  

Episkin fournit plus de 100 000 tissus reconstitués par an et travaille actuellement sur des possibilités d’impression 3D de peau humaine reconstituée.

A ce jour ce type de technologie ne semble être utilisé que pour des tests, mais il est bien possible que demain il puisse être commercialisé auprès des consommateurs individuels dans un but médical ou esthétique. Le marché mondial de l’anti-âge par exemple devrait atteindre 216 milliards de dollars en 2012 selon l’étude Zion Market research. On ne peut qu’imaginer l’augmentation que pourrait provoquer la technologie de peau reconstituée dans ce domaine.

  • Le commerce de la génétique

Ces dernières années les start-ups proposant des produits et services en rapport avec la génétique se font de plus en plus fréquentes. De la lecture du code ADN avec une précision extrême à la manipulation du génome humain, les solutions proposées dont nombreuses.

Là aussi, Google semble vouloir asseoir sa position de pionnier et leader. En 2007, la somme de 3,9 millions de dollars a été investie dans 23andMe, une entreprise proposant des tests de plus en plus poussés de l’ADN, permettant ainsi, entre autres, de détecter les gènes responsables de certaines maladies.

La démarche de Google n’est pas seulement innovante dans l’orientation des investissements, mais aussi dans leurs outils marketing. Le domaine de la science est vu comme si lointain et complexe pour des non-initiés (surtout la génétique, difficilement tangible), qu’il peut paraître inimaginable de le rendre intéressant pour les consommateurs. Mais le géant de la technologie a réussi à le rendre en quelque sorte ludique. 

A présent, que l’ont arrive ou non à soigner les maladies, chacun est tenté de faire le test. Google mêle ici science et business, avec des services après-vente et des offres VIP. 

 

La démarche de Google n’est pas seulement innovante dans l’orientation des investissements, mais aussi dans leurs outils marketing. Le domaine de la science est vu comme si lointain et complexe pour des non-initiés (surtout la génétique, difficilement tangible), qu’il peut paraître inimaginable de le rendre intéressant pour les consommateurs.

Mais le géant de la technologie a réussi à le rendre ludique. 

A présent, que l’ont arrive ou non à soigner les maladies, chacun est tenté de faire le test. Google mêle ici science et business, avec des services après-vente et des offres VIP (la segmentation des offres engendre plus de cible, plus de clients potentiels et donc plus de revenus).

Alors que le consommateur s’habitue au concept de la possibilité d’extraire et analyser son génome, ne pourrait – on pas imaginer des opérations plus invasives dans le futur, impliquant une manipulation du génome pour le modifier ?

 

En ce sens cela contribue également à creuser et exploiter le fossé biologique entre les gens qui pourront se permettre de telles opération et les autres, qui resterons simplement « humains ».

Dans le contexte de tels fossés, peut-on s'attendre à de nouveaux modes de communication offerts par les NBIC?

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