3. La recherche de l’immortalité au service de l’économie capitaliste
Pour les partisans de l’idéologie transhumaniste, l’humain tel qu’il existe aujourd’hui n’est que le début du processus d’évolution qui nous attend. L’humain doit fusionner avec la technologie pour atteindre la phase supérieure et devenir post-humain, où les possibilités mentales, biologiques, cognitives sont infinies. Le transhumanisme serait l’état de passage du Homo sapiens vers ce que l'on appelle le post-humain.
La volonté de vaincre la mort s’inscrit donc logiquement dans le développement de la pensée transhumaniste et en représente l’idéal suprême. Certains parleront plutôt de longévité exceptionnelle (ou d’amortalité comme l’association française Technoprog), comparée à notre durée de vie moyenne actuelle et nous offrant la possibilité de vivre plusieurs centaines d’années, d’autres de véritable immortalité, qu’elle soit biologique ou numérique, en téléchargeant l’esprit humain à l’infini dans un corps différent.
Dans ce dernier cas on parle alors d’extropie par opposition à la notion scientifique d’entropie qui représente la désintégration et désorganisation d’une substance de façon naturelle après avoir atteint une phase de maturité. Le mouvement extropien est ainsi une branche en quelque sorte extrémiste du transhumanisme, fondée dans les années 1990 par le philosophe anglais Max More.
"Nous remettons en question le caractère inévitable du vieillissement et de la mort",
Max More, philosophe anglais, fondateur de Extropy Institute
En ce sens, nous différencions les actions mises en place pour vaincre la mort des augmentations biotechnologiques proposées déjà par les acteurs économiques et scientifiques décrites dans la première partie. En effet, leurs applications premières sont pensées pour le moment comme curatives ou permettant d’augmenter les capacités déjà fonctionnelles sans pour autant prétendre procurer une espérance de vie exceptionnelle et encore moins l'immortalité.
Mais le lobby transhumaniste extropianiste va encore plus loin en considérant la mort elle-même comme une pathologie que nous devrions pouvoir être en mesure de soigner.
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Sur le blog transhumaniste Fightaging.org
En dehors des manifestes, déclarations et toutes sortes de principes, le mouvement bénéficie là encore de soutiens financiers avec des initiatives entrepreneuriales qui surfent sur cette vague depuis quelques années et des investissements importants.
Sans grande surprise, on y retrouve notamment les GAFA. Les idées transhumanistes ont beaucoup de succès dans la Silicon Valley et de manière générale auprès des dirigeants des multinationales technologiques, notamment après le décès prématuré du co-fondateur d’Apple Steve Jobs en 2011.
Selon Longevity fund, l’entreprise américaine dont l’activité consiste à mettre en relations des investisseurs et start-ups du domaine de la lutte contre le vieillissement, déjà plus de 4 milliards de dollars ont été investis dans ce secteur dont la majorité par les GAFA.
Dès 2013, le fondateur et PDG d’Amazon Jeff Bezos s’intéresse au domaine et a investi plusieurs dizaines de millions dollars (et en a levé plus de cent) dans la start-up Unity Biotechnology qui développe des médicaments pour augmenter la longévité.
Peter Thiel, cofondateur de PayPal a investi près de 3 millions de dollars en 2009 dans la fondation SENS (Strategies for Engineered Negligible Senescence), dirigée par le gérontologue transhumaniste Aubrey de Grey qui a pour ambition de guérir le vieillissement.
Mais c’est certainement Google qui est, là-aussi, allé le plus loin. La multinationale ne se contente pas d’investir dans le secteur prometteur via Google Ventures : elle développe également ses propres projets.
« Si vous me demandez aujourd'hui s'il est possible de vivre jusqu'à 500 ans, la réponse est oui »
Bill Maris, fondateur de Google Ventures.
Au sein du groupe Alphabet, Google X est une société semi-secrète dont le but principal est de développer des projets liés à la robotique, aux nouvelles technologies (parmi les projets rendus publics, on cite les voitures autonomes et les Google Glass).
C’est ainsi qu’en 2013, au sein de Google X est née Calico – California Life Company, une start-up avec une enveloppe de 1,5 milliards de dollars dont le but est général est tout simplement de « Tuer la mort » et ayant pour PDG le chercheur Arthur Levinson, président du Conseil d’Administration d’Apple et aussi PDG de Genentech, entreprise pionnière dans la recherche sur les modifications de l’ADN.
Calico cherche donc bien à aller au-delà de la logique purement curative de certaines maladies. Larry Page lui-même déclare, au moment de la création de Calico, que même la victoire sur le cancer ne serait pas une si grande avancée en termes de longévité et qu’il avait pour objectif de chercher plus loin.
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Le business modèle et l’activité concrète restent cependant toujours flous depuis 2013 (le statut secret de Google X oblige).
Calico est très peu active sur les réseaux sociaux (4 tweets en 4 ans), ne semble avoir aucun produit concret, et partage seulement quelques nouvelles sur des collaboration avec des compagnies pharmaceutiques (comme AbbVie) et des recherches en cours en termes très larges.
En parallèle et en attendant de trouver la technologie permettant de vivre (presque) éternellement, des business pour le moins curieux se développent sur la base directe des principes transhumanistes.
Ainsi la start-up Nectome créée par un diplômé du MIT en 2016 promet l’immortalité en proposant de conserver les cerveaux des clients après leur mort dans de l’azote liquide afin de pouvoir télécharger les souvenir et donc « l’esprit » dans une simulation informatique sur un cloud quand les technologies le rendront possibles, en s’assurant ainsi une existence éternelle numérique.
Le prix s’élevait à 10 000 dollars en 2018 et la liste d’attente comptait 26 personnes.
Bien que les recherchent semblent réelles, et l’entreprise a déjà réussi à conserver sans dommages le cerveau d’un porc, le service proposé est pour le moins douteux et sur le site de l’entreprise, les allégations semblent purement théoriques.
Captures d'écran des éléments du site Nectome
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La fondation Alcor Life extension s’en sort avec plus de succès. Fondée par Max More, elle promeut la conversation des défunts par le biais de la cryogénisation dans l’espoir de les ranimer un jour, lorsque les technologies permettront de réparer les tissus et organes endommagés ayant causé la mort.
Extrait de l'article "Coût, température, légalité... La cryogénisation, mode d'emploi" publié par L'express le 22/11/2016
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Selon Wikipedia, parmi les futurs « clients » ayant déjà signé le contrat avec Alcor, on compte notamment les fameux Ray Kurzweil et Peter Thiel, quelques sportifs américains connus.
Aussi, selon la même source, « Les cotisations des membres couvrent un tiers du budget annuel d'Alcor, les dons et les recettes provenant des cryoconservations couvrant le reste ». Selon la même source, la plupart des membres actuels financeraient les services proposés grâce à leur contrat d’assurance vie où Alcor seraient le principal bénéficiaire. Un montage et un marketing discutables sachant que bien évidemment aucune garantie n’est offerte.
Il est intéressant de voir comment Alcor positionne ses services comme quelque chose de pratiquement et tellement simple qu'il suffit de cliquer sur bouton "Get started" pour avoir une vie éternelle.
Comme dans le cas de l’Université de la Singularité, l’offre s’adresse principalement à une élite restreinte.
Mais y aurait-il un intérêt plus grand à développer le marché de la longévité/immortalité ?
Le capitalisme est basé sur l’idée des investissements continus et croissants afin de renouveler et augmenter le capital. Cette croissance doit donc être éternelle sans quoi le système ne pourrait plus fonctionner.
En mettant tout cela en perspective, une réflexion partagée dans le livre Homo Deus nous semble pertinente. Selon l’auteur, les acteurs économiques dans ce contexte ont donc besoin d’un renouvellement constant, de nouveaux marchés lorsque les marchés existants sont saturés, de plus de client potentiel, où toute l’idée de l’immortalité s’inscrit parfaitement dans la mesure où elle pourrait procurer tout cela.
Si l'on extrapole quelque peu les parole de Jeff Bezos, on peut dire qu'elle vont dans le sens de cette hypothèse :
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“If your customer base is aging with you, then eventually you are going to become obsolete or irrelevant. You need to be constantly figuring out who are your new customers and what are you doing to stay forever young”
Jeff Bezos, PDG d’Amazon.
On peut donc imaginer que les multinationales les plus puissantes de la planète non seulement s’attachent à trouver d’évolution pour rester à la hauteur de leurs clients les plus « jeunes », mais aussi se tournent vers ce marché dans le but de le créer, cultiver et exploiter dans l’avenir.
Mais, chose intéressante, aucune des organisations citées dans cette partie (et de façon générale, cela reste applicables à l’ensemble des entreprises exploitant les idées transhumanistes) ne met en avant le volet business de son activité en se concentrant uniquement sur le les effets positifs pour l’avenir de l’humanité.
Mais peut-on réellement imaginer que le business de longévité /immortalité puisse avoir un réel avenir économique stable et une offre réelle ?
Déjà en ce qui concerne le marché et la cible, cela semble compromis. D’après le sondage réalisé par Psychologies Magazine en 2009 en France, 61% des répondants ne souhaitaient pas vivre éternellement. Un autre sondage réalisé en 2017 auprès de 2000 Américains par Lifetime Daily montre les résultats semblables.
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Les humains semblent peut-être actuellement réticents à l’idée de la vie éternelle, surtout qu’aucun processus clair n’a été présenté jusque-là.
Mais cela peut se discuter dans la mesure où, justement, vu que la longévité exceptionnelle n’est pas encore d’actualité, les réponses ne doivent pas forcément être considérées comme fiables et que les sondés pourraient avoir une opinion différente une fois la proposition devant eux (cela peut rappeler le cas marketing de Nespresso où les sondages pré-lancement ne relevaient pad d’intérêt de la part des consommateurs pour le produit, mais la tendance s’est inversée une fois l’offre proposée à la vente).
Toujours est-il que pour les acteurs économiques transhumanistes cela représentent un énorme marché potentiel mais qu’il faudrait concquérir dans un premier temps, car la généralisation de tels produits/services soulève beaucoup d’interrogations.
Notamment quid de la surpopulation en cas d’augmentation sensible de la durée de vie moyenne ?
Ce problème fera certainement naître d’autres opportunités business et de nouveaux marchés.
On peut aussi voir cette démarche sous un angle différent.
Par exemple, pour un acteur comme Google, le fait de communiquer sur ses importants investissements dans le domaine des NBIC représente un énorme potentiel de collecte de données on peut plus personnelles. En parallèle de Colico, Google a lancé Cloud Life Science (anciennement Google Genomics) et Verily, des systèmes qui ont pour ambition de stocker la plus grande quantité de génomes possibles pour la première et données médicales pour la seconde afin de permettre aux chercheurs et médecins du monde entiers d’avoir accès à une quantité de données colossale jamais assemblée auparavant. On ne peut qu’imaginer quels pouvoirs conférerait la possession de telles informations à la multinationale.
La faille qu’on peut pointer dans ce discours pro-transhumaniste, c’est que rien ne peut garantir qu’une institution comme Singularity Univeristy, une entreprise comme Google permettrait d’être préparé à ce que l’avenir nous réserve puisqu’il est basé que sur nos connaissances actuelles et surtout humaines que l’IA supérieure (si elle existera) devrait surpasser (très) bientôt ?
Mais en attendant cela s’inscrit dans la politique de Google d’être le principal sponsor économique du mouvement transhumaniste et permet d’asseoir sa position de leader sur ce marché émergent.
En plein expansion depuis quelques dernières années, le marché des entreprises qui lient leur business aux idées transhumanistes s'est retoruvé en retrait à cause de la pandémie du coronavirus. Cette dernière a remis en cause ce courant de pensée puisqu'en pratique la science et la technologie ne nous ont pas permis pour le moment de vaincre la crise planétaire inattendue.
Danc ce contexte et parallèlement à l’émergence tout de même progressive de ce marché transhumaniste, d’autres business exploitent une idéologie de l’effondrement différente.