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  1. Le survivalisme, une idéologie de l’effondrement

Une idéologie protéiforme

Historiquement, le survivalisme naît aux États-Unis dans les années 1960. C’est dans un contexte de guerre froide - sur fond de crainte d’attaque nucléaire russe - que le mouvement prend racine. L’invention du terme « survivalisme » revient à Kurt Saxon, un ancien membre du parti nazi américain d’extrême droite. À cette époque, le mouvement entretient en effet des tendances xénophobes dont il va par la suite éprouver des difficultés à se détacher en termes d’image.

 

Pendant de nombreuses années, les survivalistes ont été perçus à travers un profil stéréotypé. Dans l’imaginaire collectif, le survivaliste était alors un homme, paramilitaire d’une quarantaine d’années, vivant terré dans un bunker et armé jusqu’aux dents. Cette caricature a été notamment cristallisée en 2012, lorsque certains survivalistes ont exprimé leur adhésion à l’hypothèse de la fin du monde prévue par le calendrier maya. Les médias de l’époque ont alors tourné le survivalisme en ridicule, en caractérisant les adeptes « d’illuminés ». En France, c’est à ce moment que s’amorce une réponse de la part des survivalistes, dans le but de se détacher d’une perception désuète et caricaturale du courant. 

 

Au cours des décennies, le survivalisme a évolué selon les peurs collectives. Sorti de ses origines xénophobes et extrémistes, on a assisté à une modération du mouvement, à travers de nouvelles pratiques moins clivantes.  C’est ainsi qu’apparaît le néosurvivalisme, une version du survivalisme plus englobante, qui prône une indépendance au regard du système de production mondiale et la culture de l’autonomie, notamment à travers un retour vers la nature.

 

En Amérique, les survivalistes sont devenus les prepppers (du verbe anglais prepping qui signifie se préparer), ceux qui se préparent au pire. Ils se préparent à la rupture de la continuité : d’après eux, le monde sera en proie à un effondrement systémique, auquel il leur faut se préparer continuellement.   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré leurs divergences, ces sous-catégories du survivalisme partagent deux critères qui font d’eux des membres de cette idéologie.           

 

En premier lieu, tous cultivent la conviction de l’effondrement de la civilisation actuelle : c’est le principe du TEOTWAWKI (the end of the world as we know it), la fin du monde tel que nous le connaissons. De fait, le survivalisme s’est pérennisé en s’appropriant successivement les différentes crises sociales, politiques, technologiques, financières et environnementales. Que ce soit la crise financière de 2008, le terrorisme mondial ou des crises sociales comme celle des gilets jaunes en France, tout évènement de nature exceptionnel, comportant des risques pour l’intégrité de la population et/ou du système, donne du poids à la thèse survivaliste.

 

Dans ce sens, le mouvement survivaliste diffère du transhumanisme, qui fait miroiter au contraire des accomplissements extraordinaires pour l’être humain, avec l’aide de la technologie, permettant d’éviter tout danger inhérent à la nature.

 

Le second critère est celui du pays de résidence. En effet, d’après Bertrand Vidal, le survivalisme est uniquement présent dans les pays développés, bénéficiant d’une stabilité. Cette idéologie est véhiculée principalement dans le monde occidental avec une présence forte aux États-Unis et une consolidation progressive en Europe. :

 

« Ce phénomène du survivalisme n’existe quasiment que dans des pays où le niveau de vie est stable : plus on est loin du danger, plus on va développer des fantasmes d’insécurité. […] On ne va pas jouer à la survie ou imaginer la fin du monde quand on habite en Syrie. »        

 

  • Distinction entre survivalisme et collapsologie

Le concept de collapsologie est apparu dans les médias très récemment et a été popularisé par l’ingénieur agronome Pablo Servile. Ce courant s’appuie sur la croyance en l’effondrement industriel du monde. Selon la collapsologie, une pénurie de pétrole va se produire  – ressource sur laquelle l’économie mondiale est construite – et entraînera la rupture de l’approvisionnement mondial des ressources alimentaires (géré grâce aux moyens de transport alimentés en carburant), dans un contexte économique affaibli par les crises financières précédentes. C’est dans ce contexte qu’aura lieu la rupture de l’industrie traditionnelle, provoquant une crise systémique par effet domino.

 

Si collapsologie et survivalisme s’accordent tous deux sur l’idée d’un effondrement du monde, ils ne partagent cependant pas les mêmes réponses face à cet effondrement. Pour le collapsologue, les solutions se trouvent dans un retour écologique vers la nature, en quittant la ville pour cesser d’alimenter un mode de vie qui causera tôt ou tard la chute du système. L’action du collapsologue s’inscrit dans un projet d’amélioration du monde et il entrevoit également la coopération avec les autres citoyens comme l’un des moyens de construire un nouveau monde, régi par d’autres règles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le survivaliste quant à lui est davantage mué par un imaginaire guerrier par son entrée dans une logique de préparation face aux dangers à venir. Pour lui, le retour vers la nature est une possibilité mais pas une fin en soi. Il pratiquera le bushcraft (l’art de vivre dans les bois) non pas par altruisme écologique mais pour disposer d’une solution de repli supplémentaire. Sa démarche s’appuie particulièrement sur la possession de ressources matérielles et se veut individuelle. En somme, le survivaliste agit en amont non pas pour améliorer le monde mais pour garantir sa survie lorsque l’effondrement arrivera.  

 

Comme l’explique Bertrand Vidal : « À l’inverse de ces mouvements écologistes, les néosurvivalistes ne sont pas mus par le même imaginaire. Quand un écologiste quitte la ville pour cultiver son jardin, il le fait pour rendre le monde meilleur. Pour les survivalistes, ce n’est pas pour rendre le monde meilleur, c’est parce qu’il y a une catastrophe qui plane et c’est donc le seul moyen pour s’en sortir.»

 

 

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C’est également une idéologie de l’individualisme. Selon le survivalisme, cette rupture civilisationnelle entraînerait la fin de la coopération entre les citoyens et laisserait place à la méfiance et l’inhumanité.


Le survivalisme s’est également fracturé pour laisser émerger de nombreuses sous-catégories : prévoyants, doomers, collapsologues, pour ne citer qu’eux ; chacun de ces profils a une manière très spécifique de définir sa pratique du survivalisme en fonction de ses convictions personnelles  et réponses apportées au scénario prévu.

« Si au départ l’on pouvait dire qu’il existe une unique population survivaliste qui pouvait se définir socialement, politiquement, économiquement et autres, aujourd’hui le mouvement est protéiforme, multiple, trans-générationnel. (…). Le « prepper », s’il ne diffère pas du survivaliste quant aux pratiques mises en œuvre pour la survie (…), la préparation au pire se présente plutôt comme un mode de vie, une attitude quotidienne que comme un moyen de survie » explique le sociologue Bertrand Vidal, expert sur la question du survivalisme.

 

Cartographie des profils survivalistes d'après le journal Libération (mars 2018​)

NB : à l'inverse du journal Libération, nous considérons que la collapsologie n'est pas une sous-catégorie du survivalisme. Selon la littérature scientifique, il s'agit d'une idéologie différente, qui partage certes l'idée de l'effondrement civilisationnel mais qui n'apporte pas les mêmes réponses comportementales à ce scénario.

Comprendre la distinction entre survivalisme et collapsologie 

Le survivalisme préfiguré et entretenu à travers la culture populaire

La culture populaire a joué une influence majeure dans la popularisation du survivalisme. En effet, elle a contribué à institutionnaliser cette idéologie et lui sert même de socle pour se maintenir.

 

C’est à travers la culture populaire que le survivalisme a pu également se développer. Sur fond de scénarios catastrophe où se confondent univers-apocalyptiques et monstres en tous genres, la rupture de la normalité s’est insidieusement installée dans les esprits. Des films traitant de près ou de loin de l’apocalypse, décrivant des scénarios de survie , tels que Mad Max (1979), Terminator (1984) ou encore Armaggedon (1998) , ont permis au survivalisme de gagner en popularité.

 

Les séries télévisées sont un exemple intéressant d’une culture de masse qui préfigure les modes de vie survivalistes. Sur la plateforme de streaming américaine NETFLIX, la série The Walking Dead met en scène une histoire dans un univers post-apocalyptique où la majorité de la population a été ravagée par une épidémie inconnue, transformant les contaminés en zombies appelés « rôdeurs ». Le récit suit une poignée de rescapés qui tente de survivre face à ces contaminés. Parmi les menaces rencontrées par le groupe, on retrouve également d’autres bandes de survivants, non contaminés, mais autant sinon plus dangereux que les rôdeurs. Ces derniers ne souhaitent pas collaborer avec les rescapés et veulent piller les protagonistes.

 

 

Ce court résumé de l’intrigue nous permet aisément de faire le parallèle avec le scénario survivaliste : le survivalisme présage un environnement où la sécurité ne sera plus de mise, où la vigilance et la peur seront permanentes en raison des menaces extérieures, dont font partie les autres citoyens.       

 

Le 12 octobre 2014, la diffusion d’un des épisodes de la série The Walking Dead a réalisé un record d’audience aux États-Unis. Ce ne sont pas moins de 17,3 millions de spectateurs simultanés qui ont visionné le premier épisode de la saison 5 sur la chaîne AMC, devenant ainsi la chaîne américaine atteignant le record historique de visionnage télévisée en Amérique (exception faite des évènements sportifs). 

 

Dans une dimension plus légère, une série documentaire telle que Man VS Wild (Seul face à la nature), animée par l’aventurier Bear Grylls ou encore l’émission Koh-Lanta mettent également à l’honneur la pratique de la survie.

 

Évidemment, il n’est pas question d’affirmer que tous les spectateurs de ce type de contenu sont partisans du survivalisme mais de comprendre que le survivalisme a pénétré progressivement la culture dominante, faisant de ce qui était une idéologie considérée comme extrême et moquée, un mouvement non plus dangereux mais simplement différent.  

La démocratisation du mouvement à travers les réseaux sociaux

Avant les années 2000, le survivalisme était sujet à un véritable culte du secret. Ce n’est qu’avec l’avènement d’une surmédiatisation des crises mondiales (attentats du World Trade Center en 2001, Tsunami de 2004, crise des subprimes en 2008), permis notamment par l’Internet et un assouplissement des pratiques survivalistes, que le survivalisme a pu pénétrer la culture dominante.  La multiplication des espaces de discussion et d’échange de l’information ont mis un terme au culte du secret survivaliste, montrant l’image plus modérée d’une pratique qui s’intègre dans la vie quotidienne, moins politique également. 

 

Ces dernières années, le survivalisme s’est notamment démocratisé au niveau informationnel. A travers le monde, on retrouve de nombreuses chaînes Youtube traitant des pratiques survivalistes. À titre d’exemple, la chaîne australienne Primitive Technology de John Plant s’affaire à montrer comment construire des abris et maisonnettes en pleine nature, sans matériel. Suivie par 10,3 millions de personnes, la chaîne totalise près d’un milliard de vues aujourd’hui.    

 

Du côté de l’Hexagone, c’est aux alentours de 2012 que le survivalisme s’est affirmé en réponse à la diabolisation du mouvement par les médias français suite à l’annonce de la fin du monde par le Calendrier Maya. Sur Facebook, le groupe « Survivalistes Francophones » créé en 2015 compte aujourd’hui 20000 membres et le Réseau des Survivalistes de France (RSF – MERE), regroupe. aujourd’hui 7000 adhérents répartis à travers plus de 100 antennes sur le territoire français.

En France, on retrouve également des sources d’informations. C’est par exemple le cas de la chaîne Youtube d’Alexis Brus, suivie par 45 000 personnes dans laquelle ce survivaliste âgé d’une vingtaine d’années partage ses sorties en forêt, des techniques de survie et tests de produits.

 

Malgré les valeurs d’individualisme défendues par le survivalisme, on remarque paradoxalement que ces derniers créent des espaces d’échange. Les discussions vont aller bon train au trou de la préparation, des meilleurs outils dont il faut disposer et également de propagande citoyenne. À travers ces espaces d’échange, les survivalistes vont être les acteurs inconscients de la construction d’un nouveau marché.

 

C’est donc sur base de ces différents profils de consommateurs nouveaux et d’un marché émergent que les entreprises vont s’appuyer afin de répondre aux besoins d’un groupe d’individus alimenté par la peur de l’avenir. 

Il est intéressant de noter que les entreprises exploitant le mouvement survivaliste dans leur business disposent de cet outil marketing supplémentaire que sont les réseaux sociaux et les influenceurs de façon très massive, comparés aux business ayant traits au transhumanisme. En effet, dans ce dernier cas, les produits, technologies et services proposés sont encore assez limités et leur prix les réserve de facto à une catégorie très aisée des potentiels consommateurs, alors que côté survivalisme, l'éventail des offres est bien plus large est compte de nombreux produits accessibles.

« Nous avons tous un survivaliste en nous, mais on préfère le cacher ou l’ignorer » 

Pablo Servignes,  ingénieur agronome et collapsologue, spécialiste des thématiques liées à l'effondrement civilisationnel

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