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2. Une idéologie de la consommation

L’autonomie comme objectif principal 

Dans une attitude de préparation permanente, le survivalisme axe sa préparation principalement sur l’autonomie alimentaire et l’autodéfense. Il va donc maîtriser des savoir-faire et acquérir des objets indispensables à sa survie.          

 

Le comportement survivaliste est principalement caractérisé par un objectif prioritaire de réponse aux besoins primaires. Ses pratiques sont variées. On retrouve effectivement le bushcraft, mais aussi l’autosuffisance à travers des systèmes de permaculture et d’aquaponie, ou encore la construction d’une résidence isolée telle que les bunkers, et également l’armement , notamment en Amérique où la loi en vigueur le permet ; ainsi que  l’accumulation de ressources alimentaires et techniques pour permettre d’assurer quelques mois de survie en autonomie.

 

Le survivalisme repose sur l’idée de l’acquisition d’une autonomie en réponse aux catastrophes attendues. Ainsi, les adeptes du survivalisme ne veulent dépendre d’aucune entité ( gouvernement ou peuple). Dès lors, ils entrent dans une logique de préparation et vont s’équiper en conséquence afin d’atteindre cette indépendance. Il s’agira alors de se procurer de quoi :

  • se nourrir pendant une période déterminée (repas lyophilisées, stocks de nourriture)

  • évacuer rapidement son logement ( sac de survie, kits de survie et véhicule)

  • protéger lui et ses proches des menaces extérieures (bunker)

  • apprendre à survivre (formations spécifiques aux techniques de survie)

  • exploiter la nature pour survivre ( bushcraft, matériel outdoor, bivouac et coutellerie)

  • assurer sa défense (armement, protections et vêtements militaires)

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L’usage d’un vocabulaire spécifique

Il est intéressant de souligner que le mouvement survivaliste a développé un vocabulaire spécifique, désignant notamment à l’aide d’acronymes des objets indispensables au mode de vie survivaliste. D’après Bertrand Vidal, ce vocabulaire entretient un sentiment d’appartenance pour les survivalistes.   

À titre d’exemple, le survivaliste va se préparer une BAD : Base Autonome Durable,  un endroit sécurisé et reculé où il lui sera possible de vivre en autarcie en cas de catastrophe. Sa voiture devient un EDV (everyday vehicle), qui dispose d’un équipement d’objets pour survivre quelques jours dans son véhicule. Il va également se constituer un sac de survie, le BoB (bug-out-bag) qui devra lui permettre de survivre au 72 heures en totale autonomie. Il transporte un FAK (first aid kit), un kit de survie, sur lui en cas d’imprévu.

 

Le développement de ce vocabulaire spécifique permet au survivaliste de créer un sentiment d’appartenance, excluant derechef ceux qui ne le maîtrisent pas. Dès lors, il s’agira de se procurer les objets de ce vocabulaire car finalement, ce qui fait qu’on est survivaliste, c’est de posséder la panoplie du profil. Être survivaliste revient à consommer « survivaliste ».

 

Selon Claire Chapo et al., le consommateur tente de trouver du sens à travers l’acte d’achat dont il veut se sentir le plus proche. C’est ce que les chercheurs Bergadaa et Del Bucchia appellent la proximité identitaire : c’est le fait que le consommateur se définit grâce à son acte de consommation.

En ce sens, c’est ce qui différencie le non-survivaliste qui peut même entretenir l’idée d’un effondrement du monde et le survivaliste, qui se définir par son acte de consommation. Tandis que le premier est dans une position d’observation, le second va construire son sentiment de contrôle, face à une situation perçue comme anxiogène, par la consommation d’objets et de biens.

 

Un profil psychologique d'un consommateur idéal

Le survivaliste nourrit un sens existentiel à travers sa pratique. Grâce à son acte de consommation, il se sent acteur face à des évènements qui le dépassent.

Face à la peur de l’avenir, le fait de se préparer alimente son sentiment de contrôle. D’après le neurobiologiste Henri Laborit : « confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix : combattre, ne rien faire ou fuir. »

Selon le biologiste, la fuite ou le combat - respectivement représentés par le rejet de l’idée d’effondrement social et l’action de préparation chez le survivaliste – permettent à l’humain de conserver son équilibre biologique par la libération de la tension apportée par la situation vécue comme stressante. Le statut quo , ou inhibition de l'action, provoque un stress à travers la sécrétion de cortisol qui va dégrader l'équilibre de l'organisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cela signifierait que le survivaliste, incapable d’emprunter une autre voie pour réguler ses peurs profondes, serait en proie à des mécanismes psychologiques et biologiques qui le maintiendraient dans sa pratique. Le philosophe Olivier Lafay explique : « Freud parle de "compulsion de répétition", Levine parle de "remise en actes", Watzlawick parle de "toujours plus de la même chose". Il s'agit de notre tendance à vouloir répéter une situation aussi souvent que possible, en espérant, finalement, gagner. C'est un processus inconscient, qui s'appuie sur des racines animales profondes[…] ».

 

Pour autant, on sait que jamais l’Homme n’a vécu dans une période aussi pacifiée et prospère que le XXIème siècle. C’est ce que démontre le psychologue Steven Pinker, données chiffrées à l’appui, dans son livre La part d’ange en nous.

Les caractéristiques susmentionnées font du survivaliste un profil idéal à exploiter pour les entreprises. Engagé dans un processus sans fin, plus le survivaliste va consommer, plus ses certitudes vont se renforcer, plus il lui sera difficile de procéder à une remise en question sur ses croyances et le processus va se reproduire indéfiniment. C’est l’illustration de la théorie de l'escalade d’engagement formulée par Charles Kiesler.

  

Par ailleurs, même si le survivaliste apparaît comme une personne faisant preuve d’individualisme, il fait partie consciemment ou non d’un groupe régi par des comportements de consommation semblables. Ainsi, les sources d’information que sont les blogs et les réseaux sociaux se multiplient sur base de tutoriels de survie, de tests des meilleurs produits (ex : couteaux de survie) et techniques. Les entreprises l’ont d’ailleurs bien compris, les survivalistes sont des consommateurs, et à ce titre ils sont également sensibles au marketing et à la publicité autour des objets de la survie.

 

 

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Source : Le cerveau à tous les niveaux, Rechercher l’agréable et éviter le désagréable

  • PVS : periventricular system circuit de la punition et de l’évitement de la douleur

  • SIA : le système de l’inhibition de l’action

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On peut dès lors se demander pourquoi le survivaliste envisage le monde sous cet angle malgré les preuves du contraire. Partagé entre des sentiments de peur, de courage et d’héroïsme, le survivaliste est engagé émotionnellement dans une  aventure qui va lui servir à rompre avec un monde routinier lui apparaissant comme routinier.

Puisque la stabilité du monde environnant ne lui permet pas de créer de sens dans son existence, le survivaliste va nourrir ce sens à travers la culture d’un scénario de la catastrophe. Pour le philosophe Henri-Pierre Jeudy, c’est « le désir de catastrophe », ou l’envie inavouable que l'événement craint finisse par se produire.

Les dépenses selon Preppers.jpg

Enfin, notons qu’au-delà d’un profil psychologique intéressant pour la discipline marketing, la pratique survivaliste est une « activité » qui exige d’importants investissements financiers.

 

À titre d’exemple, le quotidien américain The Hustle a questionné un échantillon de 15 preppers engagés sur le montant de leurs dépenses annuelles en matériel de survie.
 

Ces survivalistes dépensaient en moyenne un montant de 1366 dollars, partagé en nourriture et équipement seulement. Et cela sans compter les éventuels investissements dans des bunkers de protection dont les prix avoisinent plusieurs dizaines de milliers de dollars jusqu’à quelques millions.

" Les individus possèdent de nombreuses croyances qui sont en contradiction avec leur expérience, mais qui étaient vraies dans l'environnement dans lequel nous avons évolué, et ils poursuivent des objectifs qui vont à l'encontre de leur propre bien-être mais qui étaient des adaptations à cet environnement "

 

Steven Pinker

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